VIOLENCES FAÎTES AUX MÉDECINS, TÉMOIGNAGE
TÉMOIGNAGE Voici le témoignage d’une consœur qui vient de vivre, dans son exercice, cette violence insupportable qui peut être faîte aux professionnels de santé.
« Bonjour à tous.
J’ai accepté ce matin de recevoir en consultation, sur la demande téléphonique de son fils, une patiente en rupture de traitement et en carence d’ALD, son médecin traitant le Dr X. étant absent pour maladie depuis plusieurs semaines, et sans remplaçant.
Je l’ai reçue, entendue, examinée et ai renouvelé une demande d’ALD justifiée en dématérialisant la demande sur AMELIpro et en lui indiquant le temps de traitement moyen (48h) de sa demande. Je lui ai renouvelé son traitement usuel. Elle m’a présenté sa carte vitale, une attestation ACS sur laquelle ne figurait pas les dates d’octroi. J’ai passé sa carte vitale : droits fermés. J’ai tenté de consulter le registre ADR : droits fermés.
Elle a réglé la consultation par chèque, je lui ai remis une feuille de soins, je lui ai conseillé d’appeler au 3646 (numéro qu’elle a noté sur son talon de chèque) et de passer éventuellement mettre à jour sa carte vitale pour l’ACS.
Nous avions convenu de nous revoir en fin de semaine pour lui remettre l’accord de son ALD et mettre à jour pour l’ALD sa carte vitale chez le pharmacien.
La consultation s’est bien déroulée. J’ai juste refusé la demande de Dafalgan codéine associé au Topalgic, aux dires de la patiente, lui demandant la prescription originale de l’IGR.
A 14h17, son fils a appelé, me demandant pour quelles raisons sa carte était bloquée et pour quelle raison je ne l’avais pas envoyée chez le pharmacien en dessous de chez moi.
Je lui ai répondu que je n’avais aucune visibilité sur le blocage et que le pharmacien était comme tous les lundis matin fermé.
Il m’a demandé pour quelle raison je devais la revoir en fin de semaine. Je lui ai expliqué que j’avais fait la demande de RO de son ALD par internet et qu’il faudrait mettre à jour la carte vitale et récupérer l’attestation.
Il a commencé à m’insulter et à répéter : « fallait l’envoyer chez le pharmacien ».
Puis menaces de mort : « je vais venir dans ton cabinet, je vais te buter, tout détruire et te faire la peau ».
Je n’arrive pas à joindre mon confrère absent. J’ai été entendue par la police : main courante et non plainte car c’est la première fois.
=> je ne ferai plus de consultations libres, je refuserai de venir en aide aux patients en carence de médecin, d’autant plus que je me suis fait insultée par une de ses patientes car je ne pouvais pas la recevoir vendredi soir après 20H30 et que pour elle cela devenait compliqué d’avoir un médecin à Nogent sur Marne, que nous étions tous « des fainéants grassement enrichis par les citoyens nogentais ».
Autre anecdote du jour : le nouveau jeu des patients, prendre rendez-vous l’après midi et venir en fin de consultation libre pour voir s’il n’y a pas trop de monde, sans annuler…et sans se soucier de savoir que vous avez entre temps refusé des rendez-vous pour d’autres patients.
Pour l’avoir vécu, les patients ne tolèrent plus le NON.
On refuse la prescription d’antibiotique pour une grippe, on a une plainte ordinale. On refuse la prescription d’une IRM à la demande d’un ostéopathe pour une douleur du coccyx chez une jeune femme, on a un commentaire désobligeant sur internet… Etc, etc.
On finit par recevoir des menaces de mort. Je rendais juste service à mon confrère en son absence.
L’ exercice devient compliqué. A force de porter les patients à bout des bras, à force de courir, à force de manger à point d’heure, on se sent bien seule surtout quand on est menacée.
L’ envie de dévisser la plaque devient tenace. »
COMMENTAIRES
Ce témoignage de notre consœur est exemplaire en ce qu’il traduit bien la dégradation des conditions d’exercice et l’exaspération des médecins dont les forces de sécurité les dissuadent de porter plainte, limitant ainsi leur démarche à une simple main courante, ceci à l’encontre même des recommandations de l’Ordre des médecins telles que rappelées ci-dessous. Les violences verbales, voire physiques, les agressions verbales, incivilités en tout genre deviennent le lot quotidien des médecins, tant libéraux qu’hospitaliers. La détérioration de l’offre de soin par raréfaction de la ressource est un facteur aggravant de ces situations conflictuelles. Les nombreux départs à la retraite, l’absence de successeur, laissent place à des déserts médicaux. De plus en plus de patients n’ont plus de médecin traitant. Les médecins encore en exercice fonctionnent en flux tendu, en saturation et peuvent difficilement absorber ces patients en déshérence de référent médical. Les professionnels de santé doivent pouvoir exercer leur art en toute sérénité. Cet exercice serein devient difficile face à des patients de plus en plus revendicateurs et quérulents: « ceux qui ne supportent pas qu’on leur dise non, ceux qui n’honorent pas leur rendez-vous, ceux qui arrivent systématiquement en retard, ceux qui râlent, ceux qui exigent, ceux qui surconsomment, ceux qui ne veulent pas attendre, ceux qui habitent à côté mais exigent une visite à domicile…autant de situations insupportables conduisant parfois le médecin à les refuser. L’article 4127-47 47 est applicable…mais attention si ces patients sont aussi ceux qui appartiennent à une catégorie évoquée dans l’article 4127-7 du Code de la Santé publique » (CNOM). Un exercice délicat. Le Conseil du Val de Marne de l’Ordre des médecins a signé, en 2011, un protocole de sécurité avec la Préfecture du Val de Marne, le Procureur, le Directeur de l’ARS et les représentants des autres Ordres de professionnel de santé.
L’article 3 de ce protocole est très clair :
"Information, conseils et sensibilisation des professionnels de santé en vue d’améliorer leur sécurité
Afin de renforcer les liens nécessaires à la mise en œuvre de mesures de prévention des situations de violences et y mettre fin dans les meilleures conditions, les dispositions suivantes ont été retenues :
Les professionnels de santé disposeront d’un référent « Police », auprès duquel ils pourront s’adresser pour évoquer toutes les questions ayant trait à leur sécurité. Il sera également leur interlocuteur privilégié pour les conseiller et faciliter leurs démarches lors de la procédure de dépôt de plainte en cas d’agression."
Une liste de référents sécurité est, dans le cadre de ce protocole, normalement adressée aux médecins via le Conseil de l’Ordre et remise à jour autant que de besoin. Dans le cadre de l’agression rapportée ci-dessous il s’avère que les n° de téléphone fournis dans cette liste pour Nogent ne sont plus attribués: notre consœur s’est ainsi trouvée dans l’impossibilité de joindre le référent sécurité Police de la commune de Nogent sur Marne où elle exerce et la fonctionnaire qui l’a reçue au commissariat l’a dissuadée de porter plainte. Ce protocole a ainsi ses limites ou du moins ses dysfonctionnements. A ce titre il est prévu une clause de « revoyure » annuelle avec la Préfecture.
Il en est de même de l’Article 433-3 du Code pénal qui est pourtant explicite :
« Est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens proférée à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public, d’un magistrat, d’un juré, d’un avocat, d’un officier public ou ministériel, d’un militaire de la gendarmerie nationale, d’un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l’inspection du travail, de l’administration pénitentiaire ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, d’un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, d’un gardien assermenté d’immeubles ou de groupes d’immeubles ou d’un agent exerçant pour le compte d’un bailleur des fonctions de gardiennage ou de surveillance des immeubles à usage d’habitation en application de l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur. Est punie des mêmes peines la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens proférée à l’encontre d’un agent d’un exploitant de réseau de transport public de voyageurs, d’un enseignant ou de tout membre des personnels travaillant dans les établissements d’enseignement scolaire ou de toute autre personne chargée d’une mission de service public ainsi que d’un professionnel de santé, dans l’exercice de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur.
La peine est portée à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsqu’il s’agit d’une menace de mort ou d’une menace d’atteinte aux biens dangereuse pour les personnes.
Est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait d’user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation pour obtenir d’une personne mentionnée au premier ou au deuxième alinéa soit qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat, soit qu’elle abuse de son autorité vraie ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable. »
Le Conseil de l’Ordre a créé un Observatoire de la sécurité des médecins en 1992. Il est important que les médecins fassent un signalement à leur Conseil d’appartenance en cas de violences. Le modèle de déclaration est téléchargeable sur le site de votre Conseil,
Ces déclarations sont essentielles car elles sont la base de notre communication avec nos partenaires institutionnels pour les sensibiliser à cette problématique grandissante afin d’ajuster les mesures dédiées.
Nous disposons ainsi d’un bon nombre d’outils législatifs ainsi que d’un protocole propre au département qui fait l’objet d’une rencontre annuelle pour en améliorer l’application. Les violences faîtes aux médecins ne doivent pas rester sans suite. Leurs auteurs doivent répondre de leurs actes sauf à ne leur laisser aucune limite. Les médecins exercent une mission apparentée à un service public. Ils doivent pouvoir exercer en toute sérénité.
UNE SEULE SOLUTION : PORTER PLAINTE
En cas de violences avérées ou de menaces devant témoin (autres patients, collègues, secrétaires) la position de l’Ordre des médecins est donc très claire :
« Suites à donner à une agression
- le dépôt systématique d’une plainte, même en cas d’agression verbale et d’atteinte aux biens : les insultes et menaces aux professionnels de santé constituent un délit pénal
- le dépôt d’une main courante est en général inutile (sauf sur le plan assurantiel en cas d’atteinte aux biens)
- le Conseil départemental peut s’associer à la plainte et se porter partie civile, voire même se substituer au confrère en cas de crainte de représailles sur ce dernier »
Très confraternellement à toutes et à tous,
Article écrit par le Docteur Bernard LE DOUARIN
Président du Conseil départemental 94