La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance donne un cadre légal au partage d’informations concernant « les mineurs en danger ou risquant de l’être». Elle aménage le secret professionnel pour permettre de mettre en place des mesures de protection. Ce partage doit se faire dans des conditions strictement définies.
Cadre législatif
Article L226-2-1 du CASF
« Sans préjudice des dispositions du II de l'article L. 226-4, les personnes qui mettent en œuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ainsi que celles qui lui apportent leur concours transmettent sans délai au président du conseil général ou au responsable désigné par lui, conformément à l'article L. 226-3, toute information préoccupante sur un mineur en danger ou risquant de l'être, au sens de l'article 375 du code civil.* Lorsque cette information est couverte par le secret professionnel, sa transmission est assurée dans le respect de l'article L. 226-2-2 du présent code. Cette transmission a pour but de permettre d'évaluer la situation du mineur et de déterminer les actions de protection et d'aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier. Sauf intérêt contraire de l'enfant, le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale ou le tuteur sont préalablement informés de cette transmission, selon des modalités adaptées. »
Article L226-2-2 du CASF
« Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en œuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant. »
Les informations à caractère médical restent soumises au secret professionnel, mais elles peuvent être transmises à un médecin. Le but de ce partage d’informations est de permettre une évaluation de la situation de l’enfant afin de mettre en œuvre des actions pour aider l’enfant et aider la famille. Les informations sont strictement limitées à celles nécessaires à l’évaluation qui permettra de mettre en œuvre cette protection. Les représentants de l’enfant doivent être avertis de cette transmission, sauf si l’intérêt de l’enfant s’y oppose. Deux possibilités: le signalement judiciaire au Procureur, l'information délivrée à la CRIP, Cellule de Recueil des informations préoccupantes, du Conseil Général.
Le signalement reste réservé à l’action judiciaire et doit donc toujours se faire directement au Procureur de la République.
La cellule départementale de recueil et d’évaluation de l’information préoccupante (CRIP) :
La CRIP est au centre du dispositif créé par la loi puisqu’elle est chargée de recueillir et d’évaluer les informations. Elle est en général pluridisciplinaire, composée d’un pole social et d’un pole administratif, mais on constate de grandes disparités selon les départements. Elle peut faire appel, si besoin, à des personnes ressources. La cellule a pour rôle d’évaluer TOUTES les informations dont elle est destinataire et soit de mettre en route une action médico-sociale, soit une mesure de protection de l’enfant, soit de signaler elle-même au procureur de la République. Cette cellule est le lieu unique de recueil permettant de faire converger toutes les informations préoccupantes concernant des enfants en danger ou en risque de l’être. Elle peut aussi conseiller les professionnels.
Qu’est ce que l’information préoccupante ?
Le code de déontologie précise déjà dans son article R4127-43: Le médecin doit être le défenseur de l'enfant lorsqu'il estime que l'intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage.
« Une information préoccupante est constituée de tous les éléments, y compris médicaux, susceptibles de laisser craindre qu’un mineur se trouve en situation de danger et puisse avoir besoin d’aide, qu’il s’agisse de faits observés, de propos entendus, d’inquiétude sur des comportements de mineurs ou d’adultes à l’égard d’un mineur ». (ONED)
Il est difficile de donner une définition claire et concise de l’information préoccupante. Les Etats Généraux de l’Enfance se sont penchés en mars et avril 2010 sur le contenu de cette définition et ont tenté d’en cerner le principal (la rédaction officielle et définitive devrait suivre). On peut dire en résumé que la compréhension de ce concept doit être :
- partagée par l’ensemble des professionnels, qu’ils soient « isolés » ou en équipe
- complétée par des éléments de guidance et des indicateurs et/ou référentiels de danger reposant sur des concepts clés à définir
- la notion de « supposition » de danger ou de risque de danger, ne semble pas appropriée, (pas plus que celle de « présomption » à connotation judiciaire…)
- le dialogue avec les familles doit apparaître
- la demande d’aide des parents ne doit pas relever de cette information préoccupante
Le médecin, en son âme et conscience, doit tirer la sonnette d’alarme à chaque fois qu’il pense qu’il faudrait diligenter une enquête sociale, aider un enfant en difficulté s’il existe des troubles de la parentalité, si existe une suspicion d’addiction dans la famille, un adolescent fugueur, un enfant pas ou mal vacciné, des problèmes de moralité, de compromission des conditions d’éducation, de compromission du développement physique, affectif, intellectuel et social, de sécurité, de menace…. Dans le cadre de la transmission d’informations, un médecin n’est pas enquêteur. Il porte à la connaissance de la cellule ses appréhensions. Il ne peut pas être poursuivi pour diffamation même si elles ne sont pas confirmées, car seules les informations qu’il saurait être fausses et qu’il transmettrait seraient de la diffamation. Le code de déontologie parle de « santé », globalement, mais dans cette définition doivent entrer en ligne de compte la santé physique, mentale, la sécurité afin que le développement affectif, physique, intellectuel de l’enfant soient protégés.
Attention, cette information préoccupante n’est pas le signalement pour maltraitance, sévices ou agression sexuelle qui relève de l’article 226-14 du Code Pénal**. Le terme de « signalement » est désormais réservé à la démarche auprès du Procureur.
Exemples : Le médecin peut téléphoner à la cellule afin de demander conseil sans donner le nom du patient, ou écrire au médecin de la cellule sous pli confidentiel, après avoir demandé l’accord des parents dans la mesure du possible en leur présentant cette mesure comme une aide que les intervenants de la cellule pourront mettre en place ; Il peut s’agir aussi pour le professionnel de santé, ou pour les travailleurs sociaux, d’une vague impression de dysfonctionnement au niveau de la cellule familiale qui pourrait nécessiter une aide ou des mesures destinées à protéger l’enfant, voire le mettre hors de danger potentiel. De même si l’aide ou la mesure de protection déjà mises en oeuvre ne paraissent plus suffisantes pour maintenir l’enfant hors de danger. *Article 375 du Code Civil Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. Dans les cas où le ministère public a été avisé par le président du conseil général, il s'assure que la situation du mineur entre dans le champ d'application de l'article L. 226-4 du code de l'action sociale et des familles. Le juge peut se saisir d'office à titre exceptionnel. Elles peuvent être ordonnées en même temps pour plusieurs enfants relevant de la même autorité parentale. La décision fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse, lorsqu'il s'agit d'une mesure éducative exercée par un service ou une institution, excéder deux ans. La mesure peut être renouvelée par décision motivée. Cependant, lorsque les parents présentent des difficultés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques, évaluées comme telles dans l'état actuel des connaissances, affectant durablement leurs compétences dans l'exercice de leur responsabilité parentale, une mesure d'accueil exercée par un service ou une institution peut être ordonnée pour une durée supérieure, afin de permettre à l'enfant de bénéficier d'une continuité relationnelle, affective et géographique dans son lieu de vie dès lors qu'il est adapté à ses besoins immédiats et à venir. Un rapport concernant la situation de l'enfant doit être transmis annuellement au juge des enfants.
L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :
1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ; 2° Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ; 3° Aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une. Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut faire l'objet d'aucune sanction disciplinaire.
Pour résumer :
1. Gravité et urgence: signalement au Procureur de la République,
2. Enfant en danger ou susceptible de l'être: CRIP.
3. Dérogation légale au secret médical: protection du médecin à condition de ne mettre personne en cause.
4. Dans le doute joignez le Conseil départemental ou la CRIP.